Un jardin vivant au cœur de l'îlot Courtrai-Ostende : retour sur l'élaboration du programme de base du CACI à Molenbeek

Guidances

Carlo Obinu, gestionnaire de projet au sein du service Infrastructure et Développement urbain de la Commune de Molenbeek, et Giulia Caterina Verga, collaboratrice du bureau d'architectes et d'urbanistes Karbon', nous détaillent le processus d'élaboration du programme de base du Contrat d’Axe et d’Ilot (CACI) Ostende Courtrai et son adéquation avec les enjeux liés aux changements climatiques.

Pourriez-vous vous présenter et décrire le rôle que vous avez pris dans le CACI Courtrai-Ostende ?

Carlo Obinu (CO) Au sein de la Commune de Molenbeek, je suis impliqué depuis plusieurs années dans la gestion des programmes de revitalisation urbaine, des Contrats Ecole, et des projets de Politique de la Ville, depuis la planification jusqu'à la réalisation. J'ai supervisé deux Contrats de Quartier (Petite Senne, Étangs Noirs) et le CRU 5. Actuellement, je suis chef de projet pour le CACI, où j'ai dirigé la mission de programmation confiée au consortium Karbon', Cosmopolis, Responsible Young Architects, Oteas et Spec uloos.

Giulia Caterina Verga (GCV) Collaboratrice de longue date chez Karbon', je suis également chercheuse à l'Université. Karbon' est une coopérative d'architectes et d'urbanistes ayant travaillé sur divers programmes tels que CQD Masui, Abbaye, Versailles, le CRU Avenue du Roi, le PAD Bordet, et enfin le CACI Courtrai-Ostende. Notre bureau a toujours accordé une grande importance aux questions environnementales, adoptant une vision large de la durabilité et en privilégiant les solutions contextuelles, les approches low-tech, les matériaux locaux et en valorisant au maximum les ressources existantes (le déjà-là). J'ai été responsable du projet d'élaboration du programme de base du CACI.

Quelle a été votre approche spécifique pour élaborer ce programme ?

GCV En tant qu'urbanistes, nous avons l'habitude de travailler avec des programmes de revitalisation urbaine à l'échelle d'un quartier. Mais ici, avec un périmètre restreint (un îlot et un axe), nous avons pu approfondir une approche de proximité avec les habitants et habitantes du périmètre. Notre collaboration avec Cosmopolis s'est concentrée sur une approche individualisée : un processus de rencontre par le porte-à-porte (utilisant la méthode du "deep canvassing"), en plus des moments plus "traditionnels" de participation collégiale (tels que les ateliers, les AG et les CoQ). En phase de diagnostic, deux membres de l’équipe ont effectué du porte-à-porte à plein temps, auprès de tous les immeubles de l’îlot. La mise en place de visites socio-techniques (avec un.e sociologue et un.e expert.e en PEB) fait partie de l’approche novatrice qu’on a pu mettre en œuvre dans le cadre du CACI, notamment grâce à cette échelle restreinte sur un îlot. Ainsi nous avons pu obtenir des détails et des informations approfondies sur les logements et immeubles qui nous ont ouvert leurs portes, pour arriver à un diagnostic très fin sur l’état du bâtis et sur les priorités des personnes qui habitent l’îlot. 

CO Ce projet marque un tournant par rapport à l'évolution des Contrats de Quartier dans le temps : nous passons d'une optique de densification à une approche axée sur la rénovation ou la « dédensification », conforme aux exigences du CACI. Dans un Contrat de Quartier, la priorité est le logement, suivie des équipements (principalement pour la petite enfance) et de l'aménagement de l'espace public. L'intégration d'équipements est également essentielle dans le CACI, mais on s’est vite rendu compte qu’on devait travailler avec souplesse par rapport à l’ordonnance du CQD qui servait de cadre. De plus, le budget participatif imposé a introduit une nouveauté.

Quels sont les projets phares du CACI et comment répondent-ils aux enjeux climatiques ?

GCV L'îlot est parmi les plus denses de la commune, avec un lourd passé industriel et des sols parmi les plus pollués de la Région de Bruxelles-Capitale. Le diagnostic a révélé un besoin criant en espaces verts, notamment pour contrer l'effet d'îlot de chaleur. Le projet phare du CACI est le Jardin Vivant, conçu comme un processus évolutif plutôt qu'un projet statique. Malgré la pollution du sol, nous prévoyons d'aménager un espace vert en maintenant la presque totalité de la dalle de béton existante. La stratégie qui s’est avérée comme la plus adaptée consiste à mettre une épaisseur de terre comprise entre 50 centimètres et 2,5 mètres sur la dalle de béton existante, offrant ainsi un fond vert arboré en intérieur d'îlot. La gestion des eaux est intégrée au projet, avec une attention particulière à la visibilité des solutions.

CO La candidature que la Commune a déposée pour bénéficier du CACI était déjà ancrée dans une vision d'ensemble, à l’échelle de la Commune. Le périmètre s’inscrit dans un réseau d’espaces calmes et verdurisés, qui se connecte au maillage vert régional. L'objectif de la Commune est de créer un corridor reliant diverses interventions de végétalisation, telles que l'élargissement de la surface perméable de la Rue de la Carpe et l’aménagement de la placette de la Rue des Quatre Vents. Notre intention est d'intervenir là où c'est possible le long de cet axe, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des îlots. En raison de sa densité, l'îlot Courtrai-Ostende était une priorité à intégrer dans le cadre du CACI.

GCV Le deuxième projet phare répond à notre objectif initial, qui était d’améliorer le cadre de vie des habitants et habitantes en rénovant les bâtiments. On n’a pas privilégié la rénovation groupée car nous avons rencontré des réalités très différentes entre tous les immeubles qui composent l’ilot. L’idée est donc de prolonger la dynamique du porte-à-porte pour arriver à toucher tous les publics, et notamment les personnes précarisées, avec des accompagnements personnalisés. L’accompagnement socio-technique par le porte à porte va continuer comme projet phare de l’axe socio-économique, pour permettre de porter des solutions concrètes et réaliser toute une série de travaux qui ne peuvent pas être financés par les primes régionales.

CO Dans le cadre du budget participatif, on va lancer un appel pour avoir une équipe médiatrice, composée d’associations, de techniciens architectes et PEB, qui deviendra un référent pour le quartier. La volonté était que ce ne soit pas la commune qui joue ce rôle, mais bien des personnes indépendantes qui pourront mener une série d’interventions sur des propriétés privées, en mettant en place des opérations avec des entreprises d’insertion socio-professionnelles.

GCV C’est une sorte de conciergerie de quartier, qui sera implantée au cœur du Jardin Vivant, et qui jouera plusieurs rôles : poursuivre le porte-à-porte, déployer la rénovation du bâti, accompagner des études pour le partage d’énergie locale, pour la gestion collective des eaux de pluie, pour l’aménagement du Jardin Vivant. On aime l’appeler le « couteau suisse » (rire). 

Quel rôle a joué le Facilitateur Quartier Durable et comment s'est déroulé l'accompagnement ?

CO Vers la fin de la phase diagnostic, lorsque le contexte était bien connu et des premières pistes d’intervention émergeaient, on s’est rendus compte qu’il fallait encore creuser et se faire accompagner sur deux thèmes à enjeux pour le site. Le Facilitateur Quartier Durable a rassemblé autour de la table une série d’experts et acteurs qui se sont penchés sur le projet. Le premier workshop portait sur le thème de l’Eau, le Sol et la Nature, puis le deuxième sur le thème de l’Energie à l’échelle du quartier.  

GCV Les workshops et rapports détaillés qui objectivent les débats nous ont été très utiles pour rédiger le programme. On a aligné les ambitions avec le RRU Good Living et on a mis des seuils et objectifs à atteindre dans les fiches projets, comme par exemple d’intégrer dans les aménagements futurs en voirie au moins 10% de surfaces perméables. Ca nous a aussi permis d’avoir un contact rapproché avec les experts sol de Bruxelles Environnement, qui ont été essentiels pour le projet de Jardin Vivant. 

CO On compte solliciter le service plus tard, faire une sorte de check au moment des avant-projet pour être sûr que les ambitions de base sont encore bien présentes.  

Quelles sont les prochaines étapes de la démarche ?

CO Le programme devrait être approuvé par le Gouvernement en mai. Nous poursuivons déjà les acquisitions, grâce aux budgets indépendants de Beliris et de Bruxelles Environnement. Les marchés de services pour les études seront lancés dès l'approbation du programme. Nous suivrons le même planning que pour les Contrats de Quartier, avec une exécution sur 4 ans et une finalisation des chantiers sur 2,5 ans.

GCV C’est une très belle expérience. Le côté pilote de cette première génération de CACI nous a donné plus de place pour l’expérimentation, et le retour critique sur l’expérience. C’est aussi une belle échelle, qui permet de déployer une vision très globale (stratégique) et en même temps très fine : c’est précieux. Il faut continuer de vivre cela comme un test, et d'assurer la transmission des connaissances pour l'avenir.


En savoir plus

Les documents seront bientôt accessibles sur le site de la Commune de Molenbeek